Sublimis

This project is currently being exhibited at Plantation Paris in the 18th arrondissement of Paris.

Sarah Msika, founder of Plantation Paris, kindly opened her doors to me, allowing me to document the life of her place - an urban farm in Paris. My intention was not only to capture images but also to reflect on the lessons it teaches us about the world we live in today and our position as humans among the living. I wanted to explore possible concrete actions that are filled with hope, and create a photographic documentary showcasing 4 seasons of consciousness.

  • Peut-on changer de logique ? Au lieu d’une seule logique : du vrai et du faux, du bien et du mal, du possible et de l’impossible, peut-on accepter qu’il en existe d’autres ? Des voies médianes, celles qui poussent à agir avant de juger ? Quand elle a répondu à l’appel d’offre pour habiliter un toit Porte de la Chapelle, Sarah Msika a emprunté sa voie. Elle a agit. Elle a gagné - parce qu’elle le savait. Et tout s’est enchaîné. Malgré toutes les impossibilités évidentes et “logiques”. Plantation Paris - qu’elle gère aujourd’hui avec Sidney Delourme - c’est un potager gigantesque en permaculture, qui fournit les grands chefs parisiens et les particuliers - sous forme de paniers. C’est aussi des serres où les micro-pousses et herbes aromatiques s’épanouissent grâce à un système écologique ultra-technologique. Sarah a quitté son ancien métier car, me disait-elle, « j’en ai eu marre, car on s’arrêtait toujours avant de faire ». Dans cette époque où tout incite à vérifier, à valider avant d’agir, Sarah a choisit sa logique. La logique du faire.

  • Arthur Lochman fait partie de ces philosophes contemporains qui déplient leurs concepts comme des cartes, en partant de leurs expériences corporelles, sensorielles. Lochman a le vertige, il a eu une expérience folle de ce vertige en haute montagne, et il en a fait un essai philosophique sublime «Toucher le vertige». Ses sensations l’ont guidé vers son chemin intellectuel, vers sa pensée. En procédant ainsi, il inverse totalement le « je pense donc je suis » de Descartes (qui met au centre l’homme et sa pensée en faisant taire ses sens qui pourraient le tromper) en le remplaçant par « Je suis (j’existe par l’expérience de mes sens...), donc je pense ». Ce renversement semble aujourd’hui fondamental dans la crise climatique que nous traversons. Comment penser, comment agir, comment survivre, si nous ne faisons confiance qu’à notre pensée humaine ? Si nous ne regardons pas autour de nous ? Si nous ne reconnaissons pas “combien nos vies humaines sont tissées avec toutes les formes vivantes sur terre” (A. Lochman) ?

  • « Imaginez cette fable : un jour, une espèce fait sécession. Elle déclare unilatéralement que ses parentes, les dix millions d’autres espèces qui peuplent avec elle la Terre, sont de la « nature ». À savoir : non pas des êtres mais des choses. Non pas des acteurs mais un décor. Et finalement, une réserve de ressources à portée de main. Une espèce d’un côté, dix millions de l’autre, et pourtant une seule famille, un seul monde, celui des interdépendances tissant toutes ces formes de vie (...) C’est au moment où la nature nous malmène le plus qu’il s’agit de retrouver confiance dans les puissances du vivant : ses puissances de régénération et de résilience, sa capacité à faire notre monde (...) Retrouver confiance dans le fait que nous ne sommes pas seuls à veiller à l’habitabilité de ce monde. Le tissu du vivant y travaille chaque jour depuis quatre milliards d’années parce que nous avons coévolué avec lui et en lui, et c’est pourquoi il est habitable pour nous. Il nous a façonnés comme appropriés à ce monde, à l’oxygène donné par les végétaux, à l’eau des rivières et la caresse vitale du soleil, aux nutriments vivriers présents partout autour de nous, aux médecines offertes par les plantes. Il veille aveuglément, sans conscience, sans volonté, à la perpétuation de l’habitabilité de la Terre, par la perpétuation du tissu du vivant. Le message philosophique secret des sciences écologiques tient à cet égard en une phrase : l’habitat de chaque vivant n’est jamais un décor inanimé, c’est le tissage des autres habitants. »

    Baptiste Morizot

  • Virginia Woolf a écrit qu’ « il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une oeuvre de fiction ». La « chambre » de Sarah Msika ressemble à une cabane de verre gigantesque, et l’oeuvre qu’elle y écrit, n’est pas de la fiction. Et pourtant. Tout ce qu’elle entreprend semble si titanesque qu’on a peine à y croire. Ce vertige, cette nausée, dont parle Jean-Paul Sartre est belle et bien présente dès qu’il s’agit d’entreprendre de si vastes projets. Comment ne pas être submergée face aux combats à mener ? Comment ne pas baisser les bras, prendre le “quelque argent” et abandonner cette “chambre à soi” pour rentrer dans le rang ? Quelle est cette force qui nous pousse à toujours nous dépasser même quand c’est impossible ? Je suis entrée à l’Oratoire du Louvre dimanche dernier. La pasteur y parlait du futur, de l’avenir. Elle disait que le futur n’était pas devant nous, mais qu’il se trouvait plutôt derrière nous, comme un soutien. Avoir foi en l’avenir, en ce qui nous attend, être acteur d’un changement futur, voila la force qui nous porte et nous pousse toujours plus loin.

  • Dans une interview, Augustin Berque, philosophe et géographe, décrit avec une simplicité renversante ceci : « une touffe d’herbe est nourriture pour la vache, obstacle pour la fourmi, abri pour le scarabée,... » Une même « chose » peut donc « être » différente en fonction de celui qui l’appréhende. Et la jouissance de cette « chose », peut faire vivre les uns (la vache), en mettant « à la rue » l’autre (le scarabée), tout en sauvant du danger un 3ème (la fourmi). Berque démontre ainsi que la réalité est toujours ternaire (et même multiple) ; ni complètement bonne, ni complètement mauvaise. Qu’il faut dépasser le dualisme - et agir. Qu’il n’y a pas une seule vérité bonne et juste, celle des formules, des chiffres, des preuves du passé. Les formules et les chiffres sont nécessaires, mais comme dirait Pascal, la raison a besoin du coeur. « Nos concepts n’ont de sens que dans la mesure où notre chair les interprète en catégories sensibles » poursuit Berque. Quand je discutais la semaine dernière avec Sarah et Sidney de La Plantation ils me racontaient leur étonnement face à leur production. Leurs légumes poussent en abondance (sans pesticides) et ils ont un goût extraordinaire. Ils me disaient « le problème c’est que nous sommes invisibles ». Non que leurs légumes ne se vendent pas, au contraire, les grands chefs se les arrachent. Mais leur façon de faire est nouvelle et casse les codes jusqu’ici imposés. Ce que désirent Sarah et Sidney, c’est que leur modèle de culture se démocratise, que leur démarche séduise des jeunes entrepreneurs, que les offres de toits à habiliter se multiplient. Ce modèle d’agriculture urbaine n’est évidemment pas le seul modèle à suivre pour nourrir la planète, mais il est bel et bien une autre façon de faire, une solution nouvelle et consciente, et qui fonctionne.

  • « Nature is not just one thing. The nature of trees and grass is one thing. But there are many degrees of nature. Concrete can be nature. Interstellar spaces are also nature. There is human nature. In the city, you have to have a new nature. Maybe you have to create that nature ».

    Isamu Noguchi

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